Pendant qu’en Centre Bretagne les champs se remplissent de pissenlits, a Krasnii-iar, le printemps s’annonce d’une maniere un peu moins eclatante… La neige, bien qu’elle continue a tomber de temps en temps, se met a fondre le jour. Consequences: on sort les bottes en caouchouc, on coupe plus a travers jardin pour aller chez la voisine au risque de remplir ses bottes de neige mouillee, les ordures de l’annee passee reapparaissent au grand jour, gadoue partout (c’est pas joli), mais la plus redoutable consequence, c’est la route. Pour eviter de se planter, les convois se forment de nuit, ou tres tot le matin, quand la neige a regele par dessus. Pour les audacieux, une paire de pelles c’est l’indispensable minimum, si on veut esperer echapper aux embouteillages de camions forestiers.
Et puis comme partout, on commence a penser au jardin. Les poivrons et les aubergines sont les premiers a se retrouver en terre… bien au chaud derriere les fenetres et pas trop loin des poeles. Alors, en attendant que ca pousse, que ca fonde, que ca gele plus (parfois jusqu’en juin), Natacha me coache a la couture, et Natacha (une autre) a la confection de semelles pour skis… Les motifs Udeges sont tout en courbes et tortillons. « T’as pas vu, la, le Tigre? Et ca, regarde, c’est un Dragon! » Pas evident a discerner, exactement comme quand on se trouve en foret, au milieu des ombres et des lumieres, des lianes et des racines…
Pour que les skis glissent dans un sens et pas dans l’autre, faut leur coller des peaux de pattes de cerfs, qu’ont le poil dans le bon sens. Tailler, assembler, coudre… en 2 jours c’etait regle! Mais faut des outils a la hauteur: le de en cuir, les aiguilles coupantes au bout, qui se fabriquent en quelques coups de marteau. Faire des skis, ca ne demande pas beaucoup de preparation: racler les peaux grossierement, les faire tremper toute une nuit. Mais le travail de la matiere en question m’a bien plu, et j’ai pu recuperer 6 peaux de pattes d’ete (le poil est plus fin, la peau plus souple), dans l’intention d’en faire des chaussures « Aonte ». Malgre les « mais tu vas crever de chaud la-dedans, meme en hiver! », ca enjoue Natacha, qu’est pas la premiere femme esseulee-demotivee entre ses 4 murs. Si elle avait une partenaire, elle en ferait des chaussures et des chaussons, de quoi gagner un bon paquet de sous! Et puis pour actionner l’assouplisseur de peaux, faut etre au moins 2. D’ailleurs, comme plus personne ne pratique, les derniers instruments sont caches quelquepart, entre le musee et les derniers espoirs de les voir servir a quelque-chose. Kostia promet: « si t’as besoin, je t’en fabrique un, et point! » Quant a Baba Klava, elle concerve encore la recette pratique de couture des Aonte. « Qu’est-ce-que tu crois, j’ai fais ca toute ma vie! » Donc, tout est la, le chasseur, le gibier, les peaux, les instruments et les mains pour faire, la recette… En ce qui concerne l’envie, la volonte, je m’en charge, histoire que tous les elements s’assemblent, et transcendent…
Malheureusement, tout cela reste encore a l’etat de theorie: papiers, documents, enregistrements, visa, les questions qu’on aimerait oublier me reprennent et m’obligent de nouveau a laisser tout en suspens. « Et les poivrons? Et le printemps? » La voisine Raia me repond: « T’ inquiete pas, dans un mois, tout sera encore a semer! Et en foret, a peine les premieres pousses sortiront: ail sauvage, ortie, … et puis apres les fougeres, et puis… – Shut! J’veux pas entendre, j’veux pouvoir etre la pour voir et sentir, et cueillir avec vous! »