Cueillettes de printemps
Mi-mai, printemps. Un moment j’ai bien eu peur de tout louper. Comme si le printemps allait me passer sous le nez, comme si j’ etais le surfeur en retard, celui qui rate LA vague, celle de la vie qui reprend, repousse, redonne a la terre toute sa fertilite, ses couleurs, ses odeurs, et pour nous, de la verdure а grignotter, en attendant que les fruits du travail potager ne nous nourrissent…
Bien vite on me rassure: si les patates dejа se sement а Vladivostok, а Krasnii-iar on peut encore attendre presque un mois avant de s’atteler а la tache la plus primordiale de la saison. Si la cueillette du Cheremsha dejа s’acheve а Luchegorsk, а Krasnii-iar c’est а peine si elle a commence.
Apres sa remise en forme Coreenne, j’ai pu rapatrier Ileonord jusqu’au village. Ici, les cueillettes, c’est du serieux, et l’avantage qu’offre une bicyclette avec porte bagage et sacoches est non negligeable. 3 coups de pedale pour traverser le village qui s’etire en longueur, traverser les 3 ponts de la Bikin, atteindre les friches d’Olon, y verifier si les interesses sont presents, changer d’endroit le casecheant, et charger 3 fois plus qu’un dos d’homme ne le pourrait. La premiere chose qu’on est alle glaner: du crottin de cheval. Non, non, non, pas pour manger, quoique, indirectement… Mi-mai, il etait plus que temps de semer sur couche chaude et sous mini-serre les legumes а repiquer plus tard.
Il y a des instincts, comme ca, qu’on se decouvre… Cueillir: quand je commence, je m’arrete plus. Sauf qu’ici on pourrait y passer toute la journee, tous les jours non enneiges de l’annee. Tout est donne, а nos pieds, suffit de savoir ou et quoi regarder. Le nez dans l’ail sauvage je me suis sentie comblee… j’aurais pu, au meme endroit, recolter des fougeres, ou bien encore de l’angelique. Mais au matin dejа, mes sacs en etaient pleins!
Le probleme, c’est que ce genre d’exces de zele t’oblige а etre autant, (sinon plus) persistante en cuisine, ce qui est bien moins dans mes activites de predilection…! Si l’ail sauvage se recolte de petit brin en petit brin et se sale en 3 coups de cuillere, la fougere des marais, « Osmund », se ramasse en grappe mais demande d’etre mouillee et nettoyee de ses poils bruns, avant d’ etre bouillie puis sechee au soleil а force de plusieurs essorages manuels. On pense alors а la cueillette au meilleur rapport « energie »: proche geographiquement, en quantites suffisante, facile а recolter, vite preparee, goutue, etc… Dans la cathegorie, il y a l’ »Orliak », la fougere aigle, que l’on peut meme deposer au comptoir « Tigre » pour 15 roubles le kilo (l’Osmund, plus difficile, est recompensee а 28 roubles). Si on veut se la frire de suite, on la fait macerer dans de l’eau salee toute la nuit, afin qu’elle perde son amertume. Avant de la jetter dans la poele, la faire bouillir 2min. Si on veut se la garder pour l’hiver, 2 variantes, selon le climat: faire bouillir et faire secher, ou bien depenser quelques kilogrammes de gros sel, dans lequel on lui fait perdre son jus, avant de la compresser dans des bocaux.
Juin, frais et pluvieux. Les gens annoncent dejа: apres les fougeres, les « golubitsa » (myrtilles). Tigre vient de se procurer le materiel necessaire pour, elles aussi, les conditionner. « Et apres les golubitsa, cette annee, le limoinik! Et si Juillet nous rechauffe comme il faut, c’est sur y’aura des shishkis (pignes de pin) plein la taiga. »
Chouettes perspectives.
En attendant, revenons а nos patates…